bon puisque Lordon est intelligent
"Par une déformation de lecture dont on ne sait plus ce qu’elle doit à une incompréhension feinte ou à la simple bêtise, les éditorialistes se sont plu à entendre une mention à la « gauche de la gauche » quand la tribune publiée il y a quatorze ans par
Pierre Bourdieu en appelait, elle, à une « gauche de gauche » – formidable pouvoir des mots qui en deux signes à peine modifient du tout au tout le sens d’un propos. Il est vrai que les intérêts à ne pas comprendre étaient trop puissants pour que Bourdieu ait la moindre chance d’être entendu, qui n’avait aucune intention de disserter sur les mouvements (symptomatiquement) dits d’« extrême-gauche », et
seulement celle d’appeler « la gauche » à être de gauche – si ça n’était pas trop demander.Mais quelle « gauche » ? Bien sûr celle qui s’accroche au label comme à son dernier oripeau symbolique, héritière ayant depuis belle lurette dénoncé l’héritage, l
e parti socialiste au socialisme parti, mais
maintenu dans ses titres de créance politique, comme un malade en phase terminale sous respirateur, par un univers médiatique confusément conscient d’avoir aussi à se sauver lui-même, et décidé à investir dans ce combat-là toute son autorité véridictionnelle – ceux des éditorialistes qui veulent continuer d’avoir l’air de gauche doivent donc réputer « de gauche » les politiques avec lesquels ils font peu ou prou cause commune."
"Gauche/droite : une affaire de cadre
Mais quel cadre ? Celui que tous les « indifférenciateurs », ex-Fondation Saint Simon, actuelle République des idées, fondations Terra Nova ou Jean Jaurès, les unes jadis préposées au rapprochement de « la droite modérée et de la gauche intelligente » (ou l’inverse),
les autres aujourd’hui précepteurs de la « gauche de gouvernement », ont promu depuis presque trois décennies pour en faire un impensé, en tout cas un inquestionnable du débat politique,
le cadre à l’intérieur duquel sont autorisées à s’exprimer les seules différences légitimes, par là nécessairement secondes,
et à l’extérieur duquel il n’y a plus que des questions inqualifiables, posées par des questionneurs disqualifiés, soit : le primat de la finance actionnariale, le libre-échange, l’orthodoxie de politique économique sous surveillance des marchés financiers, c’est-à-dire synthétiquement… la construction européenne de Maastricht-Lisbonne !"
http://www.telerama.fr/idees/presidentielle-j-51-la-campagne-vue-par-frederic-lordon,78502.php