http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-126355-une-sortie-de-leuro-ne-serait-pas-un-gouffre-financier-1099188.php?Jx0zz6xZAo0WQL0f.99#xtor=CS1-33Une sortie de l'euro représenterait certes un choc pour la France, mais il serait limité par sa durée, son ampleur et salvateur par ses conséquences.
Le 25 février paraissait sur « Le Cercle les Échos » une tribune intitulée Une sortie de l’euro serait un gouffre financier , rédigée par David Amiel et Paul-Adrien Hyppolite. Il est revigorant de lire un tel texte, documenté et argumenté et de grande qualité. La thèse de cette tribune est la suivante : certes, l’euro est une construction viciée dès le départ, mais, maintenant qu’il est adopté, en sortir est une erreur, car, dans un contexte d’intégration financière, une sortie provoquerait un choc financier du fait de l’explosion de la dette des entreprises qui résulterait de cette sortie et de la dévaluation du nouveau franc. Il convient de répondre à cette tribune pour tenter de démontrer que, malgré des analyses théoriques exactes, d’autres conclusions pratiques, allant elles dans le sens d’une sortie de l’euro, peuvent être tirées.
Un coût de sauvetage acceptable
Tout d’abord, cet article a le mérite de pointer du doigt le vice de conception de l’euro. Cette monnaie rassemble dès le départ des économies trop divergentes et amplifie les divergences au lieu de pousser à la convergence souhaitée. Les économies les plus fragiles ont perdu l’arme monétaire de la dévaluation qui leur aurait permis d’affronter les chocs, à l’instar de la Malaisie après la crise asiatique de 1997, et de faire face à leurs problèmes de compétitivité.
Ne pouvant plus jouer sur le change, ces pays en sont réduits à pratiquer des coupes très douloureuses dans les salaires. Ensuite, cet article rappelle qu’en vertu de la lex monetae, la dette publique, libellée actuellement en euros et régie par des contrats de droit français, serait libellée en francs en cas de sortie de l’euro et n’augmenterait donc pas, contrairement à ce que prétendent bon nombre de défenseurs de l’euro.
Pourtant, les auteurs considèrent que sortir de l’euro est une mauvaise idée, car cela provoquerait une explosion de la dette des grandes entreprises, qui devrait être prise en charge par l’État, c’est-à-dire par les contribuables. Cependant, les montants avancés par les auteurs sont certes élevés, mais ils ne sont pas astronomiques. En effet, les 3,5 % du PIB que l'État devrait débourser pour voler au secours des entreprises en difficulté (dans la pire des hypothèses) sont nettement inférieurs au seul déficit public de la France pour l'année 2013 (4,3 % du PIB).
Si la France a un déficit de 4 % l'année de sa sortie de l'Euro et débourse en plus 3,5 % de plus pour sauver ses grands groupes, cela donne un déficit de 7,5 %, ce qui était notre déficit public de 2009 pour faire face à la crise. Nous sommes donc ici dans des ordres de grandeur acceptables quoiqu’élevés. En outre, la sortie de l’Euro permettrait à l’État de recourir de nouveau aux avances à taux 0 de la Banque de France pour financer une partie de ses dépenses.
Une dévaluation bénéfique à la croissance
De plus, cet article met en avant le coût financier élevé d'une sortie de l'euro, mais il n'en montre pas les éventuels avantages économiques. Par conséquent, il faudrait tenter de comparer les gains et les pertes pour se faire une idée précise du bien fondé d’un retour à une monnaie nationale en fonction d’un ratio avantages/inconvénients permettant de déterminer relativement la meilleure solution possible. Tout remède implique des effets secondaires négatifs, mais généralement limités dans le temps et préférables à la poursuite de la maladie.
Une sortie de l'euro serait un choc violent sur le court terme, mais bref et finalement salvateur alors que rester dans l'euro est un fardeau qu'il faut porter tous les jours et qui pèse à terme sur nos capacités de remboursement. N’oublions pas que le meilleur moyen de payer ses dettes est la croissance économique. Or la dévaluation entraînerait cette croissance. En dotant les étrangers d’un surcroît de pouvoir d’achat pour nos biens et services, elle favoriserait l’exportation, mais aussi le tourisme et les investissements directs étrangers. La dévaluation présente des avantages objectifs bien connus des économistes, mais elle est aussi un mode de régulation particulièrement bien adapté aux structures économiques et sociologiques françaises.
Certes, la dévaluation a un avantage, améliorer l’exportation, et un inconvénient, renchérir les importations. Mais cet inconvénient concernant les importations peut se muer en avantage si les acteurs politiques et économiques jouent finement. En effet, un renchérissement des importations est incontestablement un point pénalisant pour une économie dans un premier temps. Mais, fait souvent trop négligé, ce renchérissement des importations va sur le moyen terme doter les entreprises produisant sur le territoire national d’un avantage compétitif sur le marché intérieur.
Cet avantage pourra augmenter leurs ventes, inciter au maintien et à la (re)localisation d’activités sur le territoire, au développement de produits de substitution (par exemple dans le cas de l’énergie) et à la baisse du déficit commercial et de la dépendance vis-à-vis de l’extérieur dont ce déficit est le symbole.
En outre, l’État n’aura pas nécessairement à prendre en charge la totalité de l’augmentation des dettes des entreprises due à la dévaluation. Pour ce qui est des entreprises financières, comme les grandes banques, une augmentation brutale de leurs dettes pourrait être absorbée par une baisse de leurs colossaux bénéfices. Ce sont là les gros actionnaires qui feraient les frais de la situation et non la collectivité. Si cela n’y suffisait pas, la Banque de France pourrait, grâce à la création monétaire, procéder à une recapitalisation d’urgence, sous forme de prêts, qui n’engageraient pas le contribuable.
Pour ce qui est des entreprises exportatrices, la baisse du Franc retrouvé verrait leurs marges automatiquement augmenter du montant de la dévaluation. Si, par exemple, une entreprise vend aux États-Unis et que le franc perd 32 % de sa valeur face au dollar, à volume et prix constants, les marges de l'entreprise augmenteront mécaniquement et immédiatement de 32 % pour ce qui est de ses ventes aux États-Unis. Ces marges nouvelles permettraient aux entreprises d’avoir une trésorerie dans le vert et de faire face à l'augmentation de leurs dettes. Certes, cela ne vaut que pour les entreprises exportatrices et non pour des entreprises comme Orange ou la SNCF qui, elles, devront bénéficier d’une aide publique. Mais cette aide ne sera pas nécessaire dans tous les cas.
Plus d'euro sans la France
En outre, l’article de David Amiel et Paul-Adrien Hyppolite envisage l'hypothèse d'une sortie de l'euro, c’est-à-dire un scénario dans lequel la France sortirait seule de l'euro et reviendrait au Franc tandis que l'euro subsisterait ailleurs. Or l'on peut penser que la sortie de la France entraînerait le démontage et la disparition complète de l'euro qui cesserait tout bonnement d'exister. En effet, l’histoire économique et monétaire nous enseigne qu’il est très dur pour une zone monétaire de survivre au départ de l’un de ses membres. Sortir d’une zone monétaire, c’est briser un tabou et susciter des vocations d’imitateurs.
De plus, étant donné le poids de la France, il est probable que la monnaie unique ne survivrait pas au choc du départ de notre pays et exploserait. La France est la seconde économie ainsi que le deuxième pays le plus peuplé de la zone, la sixième économie du monde, une grande puissance politique et l'une des constructrices de l'euro. Par ailleurs, la France sert de trait d’union, tant géographique qu’économique, entre le "nord" et le "sud" de la zone, étant ainsi le pays d’équilibre de l’union monétaire.
Dans le cas où la France quitterait l'euro, il n'y aurait alors même plus de continuité territoriale pour la monnaie entre l'Allemagne et l'Espagne. Rappelons aussi que ce sont la consommation française et les déficits budgétaires et commerciaux intrazone de notre pays qui soutiennent une zone euro asphyxiée entre la compression budgétaire et salariale allemande et les politiques d’austérité du sud de l’Europe. Une fois la France partie, la cohabitation monétaire entre pays du Nord et du Sud deviendrait encore plus déséquilibrée et étouffante au détriment des pays du Sud : on peut penser que tous les pays en difficulté n’auraient d’autres choix que de nous imiter.
Il est donc probable qu'une sortie de la France entraînerait la disparition de l'union monétaire et un retour aux monnaies nationales pour tout le monde (et si cela ne se faisait pas naturellement, la France pourrait agir politiquement dans ce sens). À partir de là toute référence à l’euro disparaît : les dettes contractées en euros seront libellées en nouveaux francs (au cours de 1 franc pour 1 euro) et n'augmenteront donc pas puisque l'euro n'existera plus nulle part (et on imagine mal des créanciers demander à être remboursés dans une monnaie qui n'existe plus et n'a plus de valeur légale).
Une interdépendance risquée
Enfin, pour conclure, deux remarques d’ordre politique. Même si elle ne rend pas impossible une sortie de l’euro et n’en diminue pas la nécessité, l’intégration financière rend plus compliquée techniquement cette opération, comme le montre très bien l’article de David Amiel et Paul-Adrien Hyppolite. Mais l’intégration financière est-elle une si bonne chose que cela ? Dire que l’intégration financière rend plus difficile la sortie de l’euro doit nous amener à poser la question de l’intégration financière elle-même.
Le monde des Trente Glorieuses était un monde de forte prospérité, et ce en partie grâce à la répression financière et au contrôle des capitaux qui permettaient d’éviter les crises financières et d’orienter le capital vers le financement de l’économie productive. L’intégration financière multiplie les interdépendances et les risques de contagion en cas de crise financière, comme l’a prouvé la crise de 2008. Si l’intégration financière réduit indéniablement les marges de manœuvre des dirigeants politiques, si elle compromet la sécurité économique du pays, si elle obscurcit et complexifie les problèmes, si elle complique des choix par ailleurs nécessaires à l’intérêt général, alors les gouvernants doivent revenir sur cette intégration financière.
Et cela est possible, car l’intégration financière n’est pas un fait de nature, mais un fait historique, décidé à un certain moment par les gouvernants. Un gouvernement énergique et responsable devrait donc, en plus de l’abandon de l’euro, prendre des mesures de contrôle des capitaux et agir pour diminuer l’ampleur de l’intégration financière et des risques de contagion qu’elle induit. Plus que jamais, nous avons besoin de décisions audacieuses.
Et, last but not least, l’euro est un déni de démocratie puisqu’il met la monnaie, instrument fondamental de la puissance publique, entre d’autres mains que celles de la souveraineté populaire et limite la marge de manœuvre de gouvernants pourtant élus. Certes, il ne faut jamais négliger les coûts économiques et financiers d’une décision politique et toujours faire preuve de réalisme et de pragmatisme pour ne pas se cantonner à la seule morale, mais le retour à une vraie démocratie peut-il se mesurer en points de PIB ?
Jean-Loup Bonnamy / Normalien et géopolitologue
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