verhaeghe de kels economistes parles tu ?
des financiers?
connais tu celui ci :
francois morin?
info general"______________________________
1. LE NOUVEAU MUR DE L’ARGENT. REALITES DE LA
GLOBALISATION FINANCIERE
Par François Morin, professeur de sciences économiques
université de Toulouse 1, membre du Conseil de la Banque de
France (1985-93). Cet article est un bref exposé de la thèse
présentée dans le dernier ouvrage de F. Morin : Le nouveau mur de
l'argent : essai sur la finance globalisée, Seuil, 2006.
______________________________
Notre hypothèse est que l’histoire monétaire et financière que la
France a connue dans l’entre-deux guerres (avec les gouvernements
du Cartel des gauches) est en train de se répéter, mais, cette fois-ci,
dans une dimension autrement plus importante puisqu'elle se situe à
l’échelle mondiale : un nouveau « mur de l’argent » est dressé
depuis une dizaine d'années par les grandes banques internationales
qui a pour résultat de contrer la volonté des politiques et
notamment des gouvernements démocratiquement élus. C’est à
l’architecture, la construction et les dangers de ce mur que se
rapporte notre analyse.
Comment le processus de globalisation financière a-t-il pu aboutir à
un tel résultat ?
Le cœur du processus, appuyé sur les argumentaires des théoriciens
libéraux des années 60, a stratégiquement visé la libéralisation, de
la tutelle des États, de deux prix de marché : le taux d’intérêt d’une
part (libéralisation interne), et le taux de change d’autre part
(libéralisation externe). Ces bases ont donné aux épargnants, grâce
à des taux d’intérêt réels redevenus positifs, une place centrale dans
le financement d’économies, dominées désormais par les marchés
financiers.
Cette libéralisation a d’abord provoqué, durant les années 80 et au
début des années 90 une montée vertigineuse de la finance directe
au détriment du crédit bancaire traditionnel. Mais, l’instabilité des
prix propre à ce type de financement a engendré également une «
innovation financière », dite foisonnante, mais destinée
paradoxalement à couvrir, en réalité, les risques liés au
fonctionnement même de ces marchés. Il faut en effet se couvrir
contre les variations intempestives des taux d’intérêt et des taux de
change.
Le résultat ? Une démesure totale des transactions sur les marchés
monétaires et financiers qui tient à la place prise non seulement par
la « marchéisation » du financement, mais surtout par le besoin de
couverture engendré par ce financement, qui, lui-même, entraîne
mécaniquement des comportements spéculatifs.
Il faut alors proposer une évaluation précise de l’emprise de la
finance globale sur l’économie réelle. Des tableaux inédits,
exprimés dans une nouvelle unité de mesure (le tera-dollar, soit
mille milliards de dollars), offrent une vision cohérente des flux
financiers (capitaux) et des flux réels (biens et services) qui
traversent désormais l’économie mondiale*. On sait qu’une façon
de mesurer l’explosion de ces marchés est de constater le volume
des liquidités qui transitent sur les marchés interbancaires : 1155
téra-dollars, à comparer, par exemple, sur la même période (l’année
2002), au volume des transactions sur biens et services de la
planète entière : 32,4 téra-dollars.
Cette hypertrophie actuelle des transactions de la finance globalisée
justifie de parler de « mur de l’argent ». Ce mur est certes fait de
liquidités énormes qui transitent à l’intérieur des systèmes de
règlement, ce qui les soumet à un risque systémique croissant. Mais
surtout, il se bâtit sur des comportements d’acteurs dont la logique
est celle de prélèvements de valeur sur l’activité économique :
survaleur actionnariale, coûts de transaction et plus values
spéculatives sur produits dérivés, ainsi que surcoûts de financement
en raison du niveau atteint par les taux d’intérêt réels.
Une des conséquences les plus graves du poids croissant de cette
finance nouvellement libéralisée est son impact considérable sur
l’économie réelle. De nouvelles normes de gestion ont été ainsi
imposées par les investisseurs financiers aux entreprises,
transférant massivement les risques sur les salariés et sur les futurs
retraités. Les principes de la nouvelle gouvernance des firmes sont
là pour rappeler aux chefs d’entreprise que le profit pour
l’actionnaire doit guider essentiellement leur action.
La combinatoire de ces différents prélèvements sur l’activité, et les
transferts de risque qui y sont associés forme, en quelque sorte, le
ciment de ce mur d’argent, ce que nous avons aussi appelé le
nouveau paradigme de la finance globalisée. Celui-ci se caractérise,
sur le plan financier, par l’émancipation de la liquidité de la tutelle
des banques centrales. Pour le dire autrement, les Banques
centrales sont, dans ce nouveau régime, contraintes d’alimenter les
marchés monétaires et financiers de la liquidité dont ceux-ci ont
continuellement besoin. Autant dire que ce suivisme leur fait perdre
le pouvoir de régulation qui était le leur auparavant, et notamment
leur pouvoir d’action sur la gamme des taux d’intérêt.
Ce nouveau régime d’accumulation se caractérise alors par des
cycles récursifs qui se combinent à l’échelle internationale, ce qui
le rend intrinsèquement instable : cycle financier provoqué par la
prise de risque excessive des firmes sous la contrainte de la valeur
actionnariale, et cycle récursif des produits dérivés, alimenté par les
incertitudes de marché, elles-mêmes générant une bulle qui ne
cesse de grossir.
Cette instabilité est amplifiée, en outre, par des dérives spéculatives
et mimétiques de certains investisseurs financiers. Ces
comportements sont souvent à l’origine de graves
dysfonctionnements, ou de crises monétaires et financières, à
impact planétaire en raison des effets de contagion. Ces dérives
actuelles trouvent en partie leur source dans des logiques
spéculatives particulières, celles notamment de certains
intervenants qui cherchent à manipuler les marchés à terme.
Finalement, lorsque l’on cherche à cerner les forces dirigeantes qui
sont à l’œuvre dans le nouveau régime d’accumulation, une réalité
émerge fortement, depuis une dizaine d’années : le pouvoir devenu
considérable des plus grandes banques internationales. Celles-ci
sont le plus souvent à l’origine de l’innovation financière liée aux
produits dérivés ; elles dominent le marché des swaps au point
d’exercer un pouvoir de marché sur la formation de leur taux, taux
qui sont aujourd’hui les taux référents de l’ensemble des marchés
monétaires et financiers ; enfin, depuis peu, elles ont pris le
contrôle des sociétés qui gèrent les fonds d’investissement pour le
compte de tiers, qui sont à l’origine de la valeur actionnariale et,
par conséquent, de la financiarisation de la gestion des firmes.
Depuis les années 1990, quelques dizaines de banques ont ainsi
conquis le vrai pouvoir de régulation monétaire : ce sont elles
désormais qui dictent effectivement l’évolution des taux d’intérêt,
et non plus les banques centrales. En raison de leur petit nombre
d’une part et de leurs profits financiers considérables d’autre part,
nous défendons l’idée que ces banques forment aujourd’hui un
oligopole particulièrement puissant à l’échelle internationale.
Reléguant les banques centrales au second plan, c’est-à-dire les
cantonnant à de simples pourvoyeuses de la liquidité dont il a
besoin, cet oligopole est le véritable régulateur des marchés
monétaires et financiers mondiaux. C’est lui qui est le maître
d’ouvrage du mur de l’argent qui se bâtit sous nos yeux.
Cet oligopole n’est évidemment soumis ni à un contrôle politique,
ni a fortiori à un contrôle démocratique. Tout juste est-il contraint
par des règlements prudentiels de portée limitée et élaborés
pragmatiquement a posteriori, ou encore par des normes issues
d’une autorégulation professionnelle, une fois que les difficultés ou
les catastrophes ont été malheureusement constatées.
La question qui se trouve désormais posée est donc bien celle d’une
régulation des activités de cette finance globalisée et de ce noyau
oligopolistique. Comment produire les contre-pouvoirs efficaces
face aux tentations hégémoniques de cette sphère et de ses
principaux acteurs, dont le résultat est une croissance des inégalités
et une instabilité chronique ?
Nous touchons avec cette dernière question, le contenu
potentiellement explosif des rapports entre cette finance globalisée
et la démocratie. On peut en faire le constat : d’un côté, des
sociétés démocratiques en Europe, mais aussi un peu partout dans
le monde, voient se succéder des majorités alternantes, avec
souvent des basculements forts, qui traduisent des
mécontentements profonds (comme en atteste également
l’installation durable d’extrémismes nationalistes) ; on y dénonce
l’absence de projets, ou lorsqu’il y en a un, celui-ci se borne à
demander « l’accompagnement », jugé inévitable, de la
mondialisation économique ; il faut par conséquent « s’adapter » à
cette nouvelle donne par des « réformes indispensables ».
De l’autre côté, une finance libéralisée et son noyau oligopolistique
de plus en plus puissants, avec ses propres codes et ses propres
valeurs, ne rencontrent guère d’obstacles sur leur chemin. Certes,
des bulles et des scandales émaillent son expansion ; mais,
l’adaptation des règles prudentielles, l’adoption de chartes de
bonne gouvernance, ou le renforcement des autorités de régulation
ont pour objectif de pallier les erreurs de parcours qui sont jugées
seulement regrettables. La question redoutable posée par cette
expansion est donc en définitive de savoir si la finance globale
n’exerce pas des effets dissolvants sur nos sociétés démocratiques.
En conclusion, il faut alors introduire une piste de réflexion pour
une autre régulation de la finance globale. La réponse ne peut pas
être seulement partielle comme, par exemple, la taxe Tobin. Celle-
ci ne s’intéresse qu’aux flux de capitaux à court terme qui transitent
sur le marché des changes, soit un compartiment très particulier de
l’un des marchés de cette finance globale. À question globale, ne
faut-il pas une réponse globale ? D’où notre proposition principale
concernant une nouvelle architecture de régulation : la création, à
son sommet, d’un régulateur global, qui sera en capacité de faire
face à cette finance internationale, non pas à travers un seul de ses
compartiments, aussi important fût-il, mais conjointement à
l’ensemble de ses activités. Les dernières pages de l'ouvrage que
nous avons consacré à ce sujet* s'achèvent par un exposé précis de
ce nouveau système, mais aussi par celui des résistances, plus que
probables, qu'il rencontrera."
*Se reporter à l’ouvrage de François Morin, Le Mur de l’argent :
Essai sur la finance globalisée, Editions du Seuil, 2006